Madness

Bienheureux les fêlés

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Temps de lecture 5 minutes


La nouvelle nous a fait un choc. Mardi 20 octobre, nous apprenons que le campement de Madness n’est plus. Première réaction -égoïste-, on se dit qu’on a eu de la chance, la « chance » d’être les derniers à recueillir l’histoire et photographier cette « maison » œuvre d’art, et son propriétaire. ​​​​​​​Deuxième réaction -la plus appropriée on vous l’accorde-, on pense à son occupant. Un bénéficiaire qu’on croisait de temps en temps aux distributions de nourriture les lundi soir et qui, à l’époque, s’appelait Rudy. Entre temps, il était devenu Madness et ne venait plus. Mais en face du lieu des distributions, nous avions assisté à la construction progressive d’un lieu à part dans la jungle urbaine.

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I shot the Sheriff

Troisième réaction, on parcourt à toute vitesse les quelques lignes qui parlent du démantèlement de son lieu de vie. Ouf, Madness n’a tué personne. Pourtant, quelques jours auparavant, il nous affirmait le plus calmement du monde que si la police essayait de le chasser, il irait jusqu’au meurtre pour défendre ce lieu qu’il a construit de ses mains. Ce lieu de vie représente plus qu’un endroit où dormir. Pour lui, c’est tout simplement le symbole de sa résurrection. Retour sur ce moment passé avec Rudy/Madness, quelques jours avant qu’il ne soit trop tard.

La naissance de Madness

Quand on lui parle de Rudy, il éclate de rire, nous dit, ah bon vous trouvez que je lui ressemble ?! et dit ne pas le connaître. En enrichissant progressivement ce petit morceau de bitume parisien, c’est pourtant le Rudy que l’on a connu qui s’est enrichi. Les épreuves de sa vie d’avant, son parcours dans la rue et la construction de ce temple ont fait de cet homme d’une trentaine d’année le sage que nous avons rencontré. 

En accouchant de cet endroit, c’est Madness qui est né.

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La vie selon Madness

Madness croit à l’art, à la bonté de certaines personnes qu’il croise et qui sont des anges, mais en aucuns dieux, invention selon lui destinée à contrôler les gens et à les instrumentaliser. Madness croit aussi au destin, au fait que chaque chose arrive pour une raison à la bonne personne, au bon moment. C’est d’ailleurs cette conviction qui lui fait accepter de nous parler. Si vous êtes là, ici et maintenant, c’est que c’est le bon moment dit-il en nous invitant à prendre place sous un parasol orné de brillants.

Oublier ses vies passées

La rue m’a apporté plus que toutes les expériences que j’ai vécues dans ma vie d’avant. Sa « vie d’avant », Madness refuse de s’étendre dessus. Nous ne savons ni où il a grandi, ni les détails de la trahison qui l’ont poussé à tout quitter pour se confronter à l’univers de la rue, sa solitude et sa saleté.

J’ai subi des mauvais traitements de la part des gens qui étaient les plus proches de moi. Ces comportements m’ont fait mettre une distance avec moi-même. Je ne m’aimais pas. C’est dans la rue que j’ai appris à m’aimer. C’est là que j’ai pu enfin savoir qui j’étais vraiment. Nous tentons de connaître son âge exact, mais Madness ne vit plus dans l’espace-temps du commun des mortels. Je ne sais pas quelle heure il est, quel jour on est, tout ce que je sais c’est que je suis dans le moment présent, il n’y a que ça qui compte.

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Faire peau neuve

Assis sur une chaise de plage en dessous de son parasol, Madness allume un encens et tel Bouddha assis sous l’arbre de la Bodhi, nous offre sa vision du monde, ses croyances et les leçons que la rue lui a apprises. La plus importante à ses yeux, l’humilité. En arrivant dans la rue je me croyais supérieur. C’était l’hiver, je ne pouvais pas mourir de froid, alors je me suis installé parterre, avec les rats. La transition est en marche. Très vite dans ta tête tu as une petite voix qui s’installe. Cette petite voix me disait « alors, t’es supérieur à qui ? ». Cette voix tourne en boucle dans sa tête jusqu’à la révélation. Non, Madness n’est supérieur à rien ni personne, même pas aux rats auprès desquels il se couche tous les soirs. Dès lors, le jeune homme se départ des couches superflues dont la société l’a - et nous a tous - recouvert. Au revoir suffisance, peur du regard des autres et égocentrisme. 

Madness est né.

« Je trouve sans arrêt des choses extraordinaires »

Pour moi, être artiste est une évidence. Nous sommes tous des artistes. Le temple qu’il s’est construit en témoigne. Mosaïques par terre, foulards et chiffons de toutes les couleurs aux arbres, plantes partout… Ce lieu pourrait avoir sa place dans n’importe quelle galerie d’art contemporain du monde. Tout ce qui est autour de nous je l’ai trouvé. Je trouve sans arrêt des choses extraordinaires, nous explique Madness. Au fait, pourquoi Madness ? Parce que Madness, c’est la folie. La folie dont les passants pensent qu’il est victime. J’entends tout le temps, il est fou. Juste parce que je danse ou parce que je ris. C’est un peu désagréable car c’est inversé, je ne suis pas fou, je me suis juste libéré du regard des autres. J’ai retrouvé ma créativité originelle.

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La vie, livre ouvert pour Madness

Madness dit avoir reconnecté avec son enfant intérieur. L’enfant intérieur, c’est l’âme. Humilité, créativité, enfant intérieur… la sagesse de Madness est un mélange de diverses influences spirituelles et religieuses, arrosées d’une goutte de développement personnel. Pourtant, l’artiste ne lit pas de livre. Il lit la vie. Les gens qui entrent ici sont fascinants à observer. Il y a ceux qui entrent comme s’ils étaient chez eux, et il y a ceux qui se prosternent !

Quand on lui demande s’il s’imaginait un seul instant vivre comme ça un jour, il éclate de rire. Quand j’étais petit, je voulais être riche, je regardais toute la journée des vidéos sur Youtube de grandes maisons avec la domotique et compagnie. Pourtant la rue, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée.

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Le trésor de Madness

Au milieu de l’enceinte, un grand vase. Dedans, les pièces que certains passants lui déposent après avoir admiré sa “demoeuvre”. Parfois, je retrouve même des billets. Les gens sont généreux, vraiment. Un jour quelqu’un est venu déposer un trésor… nous raconte-t-il avec un sourire plein de gratitude. La nature du trésor ? Nous ne le saurons jamais. Ce genre de geste permet à Madness de continuer à croire à la bonté humaine. N’en déplaise aux autorités qui auront finalement eu gain de cause… pour cette fois.

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Mise à jour • Des nouvelles de la planète Madness.

Bonheur, Madness est de retour ! Sur la petite place face à la Gare de l'est, il est en train de se reconstruire un Eden. Il nous raconte sa mésaventure avec la police venue le déloger quelques semaines plus tôt. Quand ils sont arrivés, j'ai mis la musique de "Titanic" sur mon piano. On imagine la scène. J'en ai poussé un par terre mais il n'a rien. Ils m'ont écarté et on enlevé mes affaires de la place mais je peux vous dire qu'ils en menaient pas large. À la fin, c'est même eux qui me demandaient pardon. Ou quand on applique des ordres auxquels on ne croit pas soi-même...

Mais tout est bien qui finit bien, pas de rancune côté Madness, qui d'ailleurs, est devenu Papillon...