Manu

Musicien rock'n'roll

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Temps de lecture 5 minutes


En préambule des trois portraits qui vont suivre, il faut que nous vous racontions le contexte de ces rencontres. Frédéric, le premier, habite dans ma rue. Je passe devant lui tous les jours ou presque. Parfois il a un chien, parfois non. Parfois je lui donne quelques pièces, parfois non. Un jour, je lui ai demandé s’il accepterait de nous raconter son histoire et, vous l’aurez compris, la réponse fut, sans hésitation, « oui ». Mais sa contribution ne s’arrête pas là. Après nous avoir raconté sa vie, il nous a demandé, comme un service, si on voulait bien rencontrer Maria. Elle aussi est sur le carreau de la vie. Grâce à Frédo, elle sera la première femme du projet 1001 vies. Enfin, dans les semaines à venir, nous vous conterons aussi l’histoire de Manu. Lui passait simplement par là au moment de nos échanges avec l’improbable duo. Il est venu vers notre petit groupe comme un papillon attiré par la lumière et la connivence entre les trois larrons fut immédiate. Encore une preuve, s’il en fallait une, que dans la misère la plus sombre, la joie, même éphémère est encore possible et que, bien souvent, elle passe par le lien avec l’autre. Mais tout de suite, retour à notre entremetteur du jour, Frédéric, dit « Frédo ».


Suite et fin de notre série consacrée à la petite bande de la rue de la Roquette. Manu, lui, ne vit pas à l'hôtel Nouvel France. Il errait seul dans la rue, son sac de voyage à moitié vide à la main, quand il est tombé sur Maria qui pleurait près de la fontaine. Portugais lui aussi, il a essayé de consoler cette dernière en VO. Quand nous les rencontrons tous les deux, Maria a séché ses larmes et les deux se parlent comme de vieux amis.

Avec ses paupières tombantes on dirait qu’il va pleurer, mais quand son regard se lève et qu’il vous fixe avec ses cils incroyablement longs, l’homme éméché redevient un enfant au regard émerveillé. Apparemment son charme opère et pas que sur nous. Il y a dix minutes il était seul, maintenant, il est bien entouré.

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Un peu plus près des étoiles

L’homme de quarante-sept ans a connu sa période de gloire. Dans une autre vie, il était batteur et côtoyait la scène musicale française, Jean-Louis Aubert, Caroline Loeb et plein d’autres ! La liste est longue… Mais j’ai aussi fait mes propres trucs ! nous dit-il fièrement. J’ai même rencontré Robert Plant et Jimmy Page des Led Zeppelin ! Il nous raconte de manière décousue le concours de circonstances qui l’a fait un jour rencontrer un musicien qui lui a laissé sa chance. 

Un père compréhensif

Manu est né dans le XXème arrondissement de Paris et a grandi dans une famille aisée. Il a fait toute sa scolarité en école privée. Son père rêve que le jeune homme reprenne un jour l’entreprise familiale, une société de BTP avec une quarantaine d’ouvriers sous sa responsabilité. Manu veut faire plaisir à son père mais son rêve à lui, c’est de devenir batteur. Alors, Manu s’entraîne en cachette. A la séparation de ses parents, son père accepte tout de même de lui payer une école de musique. Je voulais faire une école réputée, le prix c’était 65 000 francs, mon père les a payés ! Dit-il plein de reconnaissance.

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Une opportunité en or

Un jour, l’apprenti batteur est invité par une connaissance de l’école de musique à venir voir son groupe dans un studio du vingtième. Il arrive avant le batteur de la formation et le remplace au pied levé. Le leader du groupe l’embauche à la place du retardataire ! Manu touche son rêve du doigt. Pendant ma formation j’ai rencontré des tas de gens ! Entre autres, le producteur des Village People. J’ai essayé de l’appeler en sortant pour faire une chanson ! En sortant de quoi ? De désintox…

La descente aux enfers

Car Manu lutte lui aussi contre le démon de l’alcool. Là, je sors de trois mois de cure. Quand je suis sorti, le premier truc que j’ai fait c’est d’aller à Franprix acheter à boire… Difficile de comprendre si l’alcoolisme est venu ravager sa vie à sa sortie de prison ou s’il en est la cause. Quoiqu’il en soit, c’est pour avoir agressé sa mère, en pensant que c’était sa sœur qu’il a écopé de deux ans de prison ferme. Car si Manu tape sur une batterie toute sa jeunesse, c’est pour ravaler la rage qu’il a contre sa sœur. De huit ans son aînée, elle a tapé sur Manu toute leur jeunesse. Ma mère voyait les bleus, mais elle ne faisait pas grand-chose... Un jour, j’ai pété un câble. Fortement alcoolisé, il rentre et agresse sa mère...

En sortant de prison, plus personne. Son père n’est plus dans le paysage, sa mère est en Ephad, et de toute façon j’ai plus le droit de l’approcher… nous dit tristement Manu.

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Une vie d’errance

Depuis, il erre dans un état d’ébriété avancé. L’argent qu’il trouve, il l’utilise pour boire, pas pour manger. Il a perdu tous ses contacts musicaux d’antan. J’ai tout perdu, on m’a volé mon portable. Cette rencontre improbable avec Maria et Frédo est l’une des bouffées d’oxygène amicales qui ponctuent sa vie de vagabond. Mais lui ne loge pas à l’hôtel Nouvel France. Lui, il loge nulle part, nous dit-il.

Quand il passe rue de Lappe, il repense à l’ancienne entreprise de son père et il a un pincement au cœur. Les curateurs, les démarches administratives pour toucher des allocations, les assistantes sociales… tout ça, il ne connaît pas. Pendant quarante ans, j’ai été élevé avec une cuillère en or. Vivre dans le luxe, ça je sais faire, mais ce qui m’arrive là…

Manu émet quand même l’espoir de s’en sortir un jour, de renouer avec sa vocation d’avant la prison. D’ailleurs, il vient d’écrire une chanson sur le Coronavirus. Mais d’abord, il va devoir vaincre son penchant pour la boisson. Je sais pas comment je fais, à chaque fois je me retrouve dans des hôpitaux. Une fois j’suis à Neuilly, une fois à Garches… Mais j’me pose plus de questions…

Ça vous dérange si j’bois une bière ?

1001 Vies

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