Jean-Pierre

Les sucettes de l'ami

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Temps de lecture 5 minutes


Longtemps, Jean-Pierre s’est levé de bonne heure. Encore aujourd’hui, à presque soixante-dix-huit ans - ma date de naissance c’est la Saint-Nicolas et Pearl Harbor !, il est debout à six heures tous les matins que dieu fait. Son rituel est simple. Depuis son petit studio du Père Lachaise, il prend le métro et se rend à la Gare de l’Est. Là, il récupère des piles de journaux gratuits qu’il distribuera plus tard, et boit un café offert par l’Armée du Salut. Jean-Pierre est ce que nous appellerons un “bénévole-bénéficiaire”​​​​​​​.

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Jean-Pierre Trouvetou

Cinq fois par semaine, il se rend sur les sites de distribution des Restos du coeur. Il y aide les bénévoles en dispatchant cuillères et sacs poubelles, ou en versant les céréales dans les bols. Grâce à ses inventions (un porte gobelet en plastique, une pince-ciseaux pour ouvrir les briques de lait, etc.), la distribution est plus simple. Il nous parle fièrement de sa nouvelle création, un porte-journaux. Soit c’est pratique, soit ça passe à la poubelle.

Avec les sucettes en forme de coeur qu’il offre seulement aux bénévoles femmes ! il est devenu une sorte de mascotte. “Monsieur bonbons”. Aider, c’est dans mon ADN. J’ai toujours aidé ! D’ailleurs, j’aime pas trop le terme aider, je préfère “accompagner”...

Rien de rien, non Jean-Pierre ne regrette rien

Né à Cahors (le 6 décembre 1941 pour ceux qui n’ont pas eu la chance de grandir dans l’Est et de suivre en cours d’histoire), son père convainc sa mère de déménager en Algérie après la guerre. Ils y resteront jusqu’en 1961... Ensuite, il a fallu partir ! Mon père était dans l’Algérie française jusqu’au cou, tu comprends ?! L’Algérie, Jean-Pierre n’y est jamais retourné, même s’il en garde plutôt un bon souvenir. Mais ce n’est pas son genre de s’accrocher aux souvenirs. Pas plus qu’aux gens. J’ai jamais été marié mais j’ai vécu pendant vingt-cinq ans avec quelqu’un. On en parle pas, c’est du passé. J’ai pas de regrets. Ca sert à rien. Jean-Pierre avoue avoir toujours été plutôt solitaire, n’avoir jamais eu beaucoup d’amis. Il nous parle également d’un fils, dont il n’a pas de nouvelles. Moi je sais pas où ils sont mais eux, ils savent où je suis ! S’ils veulent des nouvelles, ils savent où me trouver. Il est encore en contact avec ses neveux et nièces, principalement pour des histoires de maison familiale, et avec une cousine, celle qui l’a logé après son “breakdown”.

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Un kiné en perdition

Car dans sa vie d’avant, Jean-Pierre n’était pas bénévole, il était kiné. Il avait un cabinet aux Batignolles, une femme, un fils, bref, tout pour être heureux. Déjà inventeur, il déposait de nombreux brevets pour améliorer la qualité de travail de sa profession. Un jour, il décide de se lancer dans une thèse, sur la symétrie du corps. C’est le point de bascule. Après cinq ans de travail acharné, la thèse est publiée, Jean-Pierre lui, est lessivé. Il a tout donné pour finir et le kiné-thésard est au bout du rouleau. J’étais vidé complètement, je ne pouvais plus travailler soupire-t-il, encore abattu. Direction l’hôpital donc, pour Jean-Pierre. Là-bas, le médecin lui dit de se reposer. Il m’a dit de prendre mon temps... je suis resté deux ans. Aucun signe avant-coureur ? Rien, rien, rien ! s’exclame Jean-Pierre. Non, il n’a vraiment rien vu venir.

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Jean-Pierre Généreux

Aujourd’hui, cela fait dix ans qu’il vit dans une résidence de la ville de Paris, entouré de personnes âgées. Tous les six mois, il y en a un qui part ! plaisante-t-il, avant de s’excuser, je ne vous invite pas, parce que c’est tout petit… Il touche une petite retraite, ce qui ne l’empêche pas d’aller faire des stocks de cigarettes à Barbès pour en donner aux autres bénéficiaires pendant les distributions. 

Côté santé, il prend encore un ou deux des médicaments qu’on lui a donné lors de son séjour à l’hôpital. Il boîte et n’entend plus grand-chose. Devant lui se trouvent des planches avec des photos. Il nous explique... Je fais beaucoup de montages. Il y a cinq ans, j’ai fait le tour des sites sur lesquels je travaille et j’ai tout pris en photo ! C’était pour en offrir un exemplaire à une bénévole.

Alors, oui, de manière générale, quand un inconnu nous offre des bonbons dans la rue, il est plus prudent de refuser. Mais gardons tout de même un coeur ouvert, car il se peut que de temps à autres, cet homme aux bonbons ne soit autre que Jean-Pierre...

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